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Une fille sans blèmes

article-dna-une-fille-sans-blemes-laureline-kuntzLauréline Kuntz, slameuse

Une fille sans blèmes

La Strasbourgeoise Lauréline Kuntz, 27 ans, a connu le succès grâce a une «fille a blèmes». sa copine dyslexique qui n’aime pas sortir lorsqu’il
« pleut des hordes». Des problèmes, Lauréline n’en a plus depuis qu’elle trace sa route dans l’univers du slam dont elle devint la championne de
France en 2007. Avec les mots qu’elle chope au coin d’une rue ou au zinc d’un bar, elle écrit des chroniques crues qui ne manquent pourtant

pas de poésie.

I L’officier d’état civil refusa
d’inscrire dans le registre des
naissances le prénom de Lau-
reline, sans accent aigu com-
me l’amie de \-’alérian dans la
BD de Mézières et Christin,
une paysanne du X\-’l‘ siècle
devenue agent spatio-tempo-
rel. Déçu, le papa fan de bari-
des dessinées accepta le
compromis proposé par le
fonctionnaire: l’accolement
de deux prénoms du calen-
drier chrétien, Laure et Line.
Libre a sa fille de l’écrire plus
tard comme elle l’entend.
Ainsi fut fait et -Lauréline-
est née quelques _ années
après Laure-Line. Etonnez-
vous. après des débuts aussi
abracadabrantesques. que la
Jeune-fille, devenue «belle et
sex_l’>- comme l’héroine en
quadrichromie, ait eu eriv’ie
de raconter des histoires.

Elle pale aussivite que
sa grand-mère qu’on
surnommait c-Ia mitraillette -

Applaudie par le public de-
puLs deux ans a Paris et en
province, encensée par la
presse, Lauréline Kuntz
n’était Jamais montée sur
scène dans sa ville natale. il y
a trois semaines, elle a fait un
tabac au festival Droles de
Zèbres au palais des fétes de
Strasbourg et au Cheval Blanc
à Schiltigheim avec son
one-woman-show -Dixlesic -,
l’histoire d’une «fille a ble-
mes» qui a un «defaut de por-
noncittt ion » et porte un «petit
pull en molaire mauve». «Ales
parents me saupoudraient
sans fesse’ : travaille ton cabu-
laire, fais des effets forts, si-
non personne il voudra te
fiançailler et tout le monde il
va le rigolailler au pied. A for-
ce de me sentir dieule, j’ai iri-
grâre que jetais di/ferente, pas
[ennentee j’voulais pus ren-
dre la peau de l’ours avant de
l’avoir hue. j’ai persigneî, j’ai
garde les poires ».

Un texte drole et émouvant
que Lauréline slame a trois
reprises, de plus en plus v’ite.
Elle a beau avoir un débit na-
turel extrémement rapide.

 

Lauréline Kuntz a gagne en 2007 le championnat de France de slam
qui met en concurrence 2000 garçons et 20 filles… lDocurrient remis]

comme sa grand-mère qu’on
appelait u la mitraillette» pen-
dant la guerre. la performan-
ce scénique n’en relèv’e pas
moins de l’exploit. La dys-
lexique ainsi gentiment ino-
quée n’est pas le fruit de
l’imagination de Lauréline,
mais une copie conforme de
sa meilleure amie Céline. El-
les sont montées ensemble à
Paris. a l8 ans, pour faire du
théatre et ont partagé le mé-
me appartement en coloca-
tion. «j’ai eierit ce texte pour
elle. C’est une battante», dit
Lauréline de son amie reve-
nue à Strasbourg pour trav’ail-
ler dans le milieu culturel.

SansJamais formuler le dé-
sir d’étre comédienne, Lauré-
line a depuis son enfance
monté ou participé a des
spectacles. «A la maison,
l’ambiance etait festive. Un re-
cevait des refugies politiques,
les relei-‘es de maman – elle est
auJourd’hui responsable de la
section – français langue
étrangère- au pole formation
de la CCl —, ils faisaient la Lui-
sine, papa jouait de la musi-
que, moi jïnterprrâtttis des ro-
les». Au lycée des Ponton-
riiers, elle choisit l’option
théatre. A Pans, elle s’inscrit
au conservatoire du X\-’lll ar-
rondissement, mais préfère
des chemins de trav’erse, hors
des circuits établis.

Entre les vieilles dames
qui parlent sexe et
les Ioubards rommtiques

Elle trouv’e des petits bou-
lots alimentaires dattachée
de presse. de scripte, d’assis-
tante de mise en scène dans
des compagnies théatrales.
jusqu’au Jour où on lui dit:
n Eh bien,joue maintenant!»

lJn ami l’emmène v’oir du
slam. «Il m’a entrainee dans
des L’a/es un peu pourris du
XI‘ et du , ou des gens grif-
fonnaient des textes sur le
zinc puis allaient aussitôt les
decltirrier devant le public du
L’a/L‘. Tous les milieux sociaux
etairmt melangeïs: de vieilles
dames qui parlaient de leur
plaisir sexuel, des jeunes de

banlieue qui faisaient dans le
romantisme. Pour moi, ce fut
le coup de foudre.» Lauréline
se met alors a écrire avec fré-
nésie. Elle se souvient de son
premier Job parisien, a la
Tour Eiffel. trois étés de suite
dont celui de la canicule. Elle
est Iiftière, poinçonneuse de
billets d’entrées, orgaiiisatri-
ce de files d’attente.

«En me, la Tour Eiffel est
assaillie quotidiennement par
350w visiteurs, des gens qui
patientent trois heures pour
monter au 2 rèmge et {HILTJTE
deux heures pour acceder au
sommet. Autant dire que les
Laracteres se revelent: les
Français‘ ralent, les japonais
poussent, les Allemands‘ res-
tent polis, mais ily a aussides
personnes qui vomissent.
d’autres qui tombent dans les
pommes. sans parler des suici-
des.» Ces visiteurs fatigués,
violents. agressifs ou dépres-
sifs forment la première gale-
rie de personnages de la sla-
meuse débutante.

l’ennuie du slam doit
être rapide et percutante

Elle devient rapidement fa-
milière des concours de
slam, ces concerts de mots
sans musique sur le tempo
du -flow-. un genre né dans
les cafés de Chicago dans les
années 80. L’éventuelle mise
en musique du slam n’est
qu’un habillage, pas un élé-
ment constitutif. comme
dans le rap. Lauréline se taille
une place enviable dans ces
affrontements de poésie. Dès
Juin 2007, elle devient cham-
pionne de France de slam a
Bobigny où elle a défendu
avec acharnement, en iridivi-
duel et en équipe, les cou-
leurs du -bar de la Réunion-
(à Paris).

«vLïiriturer du slam doit
etre rapide. percutante. Alors
que la poesir: traditionnelle

joue avec les voyelles, le slam

travaille sur les consonnes qui
donnent le rythme. Bien avant
Abd al il-Itilik ou Grand Corps
Malade, Leo Ferre etait un
grand slameur. Un concours,
c »est un match de boxe. Des
rounds de trois minutes pour
que les gens ne monopoliserit
pas trop longtemps la srsene. »

La vulgzlte, c’est la nana
en string chez Dechavanne

Ses textes, Lauréline les
teste en priorité sur sa mère:
elle lui téléphone a son tra-
v’ail. «Si elle ne capte pas tout
de suite, c’est que mon texte
n’est pas bon. Si elle n’aime
pasje’ suis triste. »

Ses rencontres, son entou-
rage sont autant de sources
dinspiration: elle croque son
amie dyslexique, une «petas-

ùî»

V m.
Lauréline Kuntz explore trois formes d’écriture: les tirades du slam, les hisbires de la conteuse et les

monologues d’un personnage. [Photo DNA- Lauent Réa]

se» hyper-liftée. des gamins
des cités, a Nanterre ou au
quartier Bacalan à Bordeaux
où Lauréline anime des ses-
sions d’écriture de slam et de
poèmes. il y aussi (iégé, le
clochard de la place Saint-
Étienne. il picole, il pue, il
parle comme un charretier.

«j’aime bien emplojvzr des
mots crus. je n’hesite pas a
parler de chatte ou de bite. ce
n’est pas vulgaire. La vulgari-
te, c’est la nana de la « Roue de
la fortune », aux levres bo-
toxees et aux seins refaits, qui
se fait bouffer la robe par le
chien de Uechavttnnr: et se re-
trouve en string en poussant
un petit “ouhhh : »‘ stupide. Mes
rLf/rârenees, je les cherche plu-
tot chez (eline ou Bukowski
qui appellent un chat, un
chat.»

Lauréline n’a pas de ines-
sage à délivrer. Elle est rév’ol-
tée par certaines attitudes ou
situations: les stars qui affi-
clieiit leurs bonnes œuvres et
leur compassion pour les
pauvres et les miséreux, les
femmes qui achètent des bé-
bés, les actrices engagées
pour l’environnement qui
prennent des Jets pour aller
aux Oscars…

«Plus je serai populaire,
plus je pourrai diffuser
des choses graves-

«L’ar.’tr: decrirr: est politi-
que. je donne mon avis, je
m ‘engage, mais je hais le pro-
selvtisme.» Elle veut conti-
nuer à plaire a des publics
très larges, de |’iiitello qui ap-

précie la qualité de ses textes
à la gamine de banlieue qui
sort du spectacle en disant à
sa copine: «Putain, elle dechi-
re!» «Plus je serai populaire,
plus je pourrai di/fuser des
chosesgraves », dit-elle.

Après Di.x|esic, assez auto-
biographique, le prochain
spectacle, dont la première
est prévue fin février en Suis-
se. parlera davantage du
monde et de ses problèmes.
Lauréline cependant ne veut
pas s’enfermer dans le orie-
woman-show. «Ça y est, j’ai
fait mes preuves toute seule
stir sr.’ene. » Elle a tourné cette
année dans plusieurs courts
et longs métrages. Elle aime-
rait aussi monter sur scène
dans des pièces a plusieurs
acteurs. «Du boulevard, mais
du bon.» Claude Keiflin

 

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