«Le CCF ne mâche pas ses mots». C’est sur ce thème que le mois de la francophonie a été lancé à la Mission culturelle française de Beyrouth. Un coup d’envoi réalisé en images et en mots. En effet, dans une allocution de circonstance, l’ambassadeur de France, Dennis Pietton, a invité les personnes présentes à se balader dans les locaux de la Médiathèque où sont accrochées les planches de dessins de Laurent Corvaisier, puis à le rejoindre à la salle Montaigne où Lauréline Kuntz rendra hommage à la langue française vernaculaire et contemporaine. Par ailleurs, l’illustrateur, qui va pendant une semaine animer des ateliers d’enfants, exposera ses planches durant tout le mois de mars.
Seule sur scène, Lauréline Kuntz prend l’audience pour complice et la toise de ses grands yeux bleus. Ses mots crépitent, martèlent l’air, se découpent, cisèlent la rime, l’entaillent. La slameuse ne craint pas d’empoigner le texte qu’elle a écrit elle-même, de le taillader, de le fragmenter. Ses expériences personnelles (saynètes de la grand-mère ou du clown poète ) se mêlent aux histoires de l’actualité du monde dans une succession de bruits, d’onomatopées, de syntaxe tendrement galvaudée, de phonétique malaxée, puis savamment distillée sur sa galerie de portraits (souvent en mal d’amour) et les grands problèmes de l’univers.
Elle évoque la crise économique, Michael Jackson, star interplanétaire, les soucis des stars, la chirurgie esthétique ou comment devenir un cyborg, mais aussi les enfants de la cité. Les mots s’enchevêtrent, s’entrechoquent, se fracassent. À l’image des microsillons d’un disque, la voix se fait rapide. Elle culbute en chemin, bascule et bouscule tout sur son passage. Comme une traînée de poudre, le mot engendre un autre, l’onomatopée surgit au coin d’une phrase et le rire succombe à la séduction de la belle.
L’acrobatie des mots
Lauréline Kuntz est à l’image de son art (d’ailleurs, dit-elle, en Alsace «Kuntz» signifie art, drôle de coïncidence). Portant à la fois un prénom au son cristallin et un nom qui claque sec, l’artiste a bien choisi sa voie. «Le slam, dit-elle, est une règle en soi. C’est Marc Smith, poète, sociologue et ouvrier qui anime des soirées décalées dans un bar à Chicago et qui en avait assez des poésies longues, qui a défini cet art oral au temps limité (trois minutes).» «Le slam est une claque, poursuit-elle, il est tout en consonnes alors que la poésie classique est en voyelles. C’est la tribune ouverte à tout le monde. Enfin, on pourrait la comparer au zajal de chez vous.»
Lauréline Kuntz est également une acrobate. Elle joue avec la langue française, la réinvente et la crache à sa façon. De l’alexandrin à l’argot, tout y passe. Son vocabulaire, son jargon ne lui font pas peur. Elle les manipule en toute liberté, mais sans vulgarité aucune, ne craignant pas de blesser les oreilles chastes et de se lancer dans les airs telle une trapéziste. Elle est d’ailleurs une sacrée championne. Qui a été sacrée en 2007. Et comme toute championne, elle se doit de battre un record, le sien. Et de se lancer des défis. Elle se doit d’être en forme. Son duel avec le mot, elle l’a initié il y a quelques années et, depuis, elle fait mouche.
Magicienne, sa langue – qu’elle n’a pas dans sa poche – se déroule à une dextérité incroyable. La comédienne est aussi une illusionniste. Ce monde qu’elle décrit, truffé de laideurs, de mochetés et de vices, elle le récrée à sa manière en parvenant à le rendre beau à nos yeux. Et c’est avec ces yeux-là, gourmands et pleins de délectation, que l’audience assiste à cette gymnastique linguistique, à ces prouesse oratoires et poétiques. Sentant que l’audience friande n’est pas encore rassasiée, l’artiste va la servir d’un dernier plat: un texte adressé particulièrement au public libanais. Un pur régal.
Une reprise du spectacle aura lieu encore ce soir, à 20h30, à la salle Montaigne.Source : L’Orient Le Jour