Le 5 octobre dernier, j’ai été choisie pour être la journaliste de « l’Amour d’écrire en direct », soirées happening autour de l’écriture organisées par Marc-Michel Georges et chapeautées par les EAT (écrivains associés du théâtre). C’était au Ciné 13 théâtre et le parrain était Hervé Villard.
Voici mon compte-rendu :
Du tautogramme au rock’n’roll, de l’épitaphe aux verbes à l’infinitif pluriel, de l’accordéon aux cornebidouilles, de l’allitération aux p’tites magouilles, des solitudes abysalles au Tamoul, des pages blanches aux éclairs philosophiques, du roman à la poésie, des blagues à Toto à l’Oulipo intellozygomatic, d’Hiroshima à Capri, de Venise à Paris, de toi à Ouam, les éclectiques soirées l’Amour d’Ecrire en Direct dépotent dans le paysage contenu de l’écriture select et échappent aux Zôteurs version « Echarpes Mont Blanc Moleskine ».
Pour un public de férus habitués, siphonnés résistants du verbe, pas ravagés du bulbe, le sémillant Marc-Michel Georges propose un concept unique. Quatre auteurs de tous bords, sont mis au défi, « challengés » comme on dit en société, par le fin, filou, fanfaron, l’hôte cocasse, mi gitan, sexuel titan, ogre de l’Estaque, mi expert poétique. Sa formule d’écriture spectacle, ce n’est pas un truc de bavard mais des soirées à géométries variables et toujours audacieuses.
L’Amour d’Ecrire en Direct a trouvé à Montmartre, au Ciné 13 Théâtre, un joli pied à terre sur la butte, adéquat, sinon sine qua non quoi, propice à son profil de soirée happening interlope.
Et ce soir-là, le parrainage, chapeautage par l’étonnant et iconoclaste Hervé Vilard était une jolie Madeleine pour tous. Le chanteur de variété, inoubliable avec « Capri c’est fini » est apparu en héro à la Genêt, pas gêné, rêvant d’amours à générer. Féru de Ronsard, ami de Duras ou Dalida, il est l’âme seule perdue dans le corps d’un chanteur trop populaire. Le patronage de la vedette a émoustillé les plumes.
Bref ! des consignes d’écriture sont données à chaque passage. Au turbin, les écrivants ! Les auteurs sortent de scène, penauds, estomaqués, pour écrire puis revenir se lire.
Verbes à l’infinitif, phrases alambiquées, tautogrammes venus du néant. « Tu tues (pas) ton temps ! » Vite à vos calepins ! Clairefontaine, tablette tactiles, stylo billes. L’orgasme sera pour plus tard.
Aux pauses d’écritures, la soirée est jalonnée de numéros d’artistes liés aux mots : David Rougerie nous emmène au royaume « Absurdium delirium très dense » avec ses textes originaux. Le chanteur, Jonathan Kerr, sexy Corto Maltese, nous embarque dans son port. On voudrait mettre des résilles et partir avec le beau matou.
Mais revoilà les auteurs !
Ca fuse, pastilles fantoches, roman ébauchés, sensuelles esquisses ou formes finies, ils assurent le show littéraire. Maryssa Rachel, Dominique (lui) Pompougnac, Tatiana Vialle et Aurélie Youlia, très joli casting de gens passionnés et différents.
Vient le redoutable, et réel, exercice d’écriture en direct d’une minute trente, sur scène, point d’acmé pour les spectateurs.
C’est comme si avec les mots, qui fusent alors de la bouche au stylo, ou le contraire, par cette bouche tout à coup sans filtre, on avait accès au subconscient de nos auteurs.
Tout au long de cette soirée, chacun nous a pris. Tatiana, fine sensible, se livre à l’exercice avec exigence puis se lâche sur son chat et nous emballe avec ses mots profonds qui eux ne doutent pas. Marissa, jubilante créature, se demande bien ce qu’elle fait là, pas nous, elle nous enjoue. La superbe Teutonne, Aurélie, pétille d’inventivité et met la barre haute. Et finalement, le Dominique Pompougnac, pas de la Pomponette, emporte le vote des spectateurs. Il a assuré tout le long, de pastiches potaches, en figures de styles tenues, émotions non feintes ou évocations alléchantes de repas rabelaisiens avec foie gras, truffe et volonté du vin. Il venait là pour gagner, sûrement, passionné comme il est. Ils étaient tous bons.
Pour conclure, le brillant philosophe, François Thomas, livre son essai, écrit pendant le show sur les objets offerts par les spectateurs au vainqueur.
Véritable pont d’orgue de ces soirées, le commentateur habile des babioles du public et donc de la psyché de chaque spectateur, nous dit le droit à l’inutile objet, la fonction sociale du théâtre mais aussi et surtout le pouvoir des choses et des mots. Dans sa massive missive, il en profite pour nous rappeler les réfugiés et leur droit aux objets, aux sol et au mot, finalement.
A la fin, Hervé Vilard, nous chante en cadeau un bout de « Capri c’est fini ». Un peu. Tout le monde chante. Puis il s’écroule, mi de rire (mi de lassitude?), sur le fauteuil et dit à son voisin. « Je ne m’en sortirai jamais de ce truc ! » Quarante millions de disques. Un refrain après d’autres.
C’est ça le pouvoir des mots. C’est tout. Les mots ont un pouvoir infini. Un jour tu dis « Capri », tu provoques une image, tu ouvres un monde, et, à vie, tu es pris car plus jamais parti le « Capri » des esprits. Un mot est un monde, je vous dis.
Et l’Amour d’Ecrire en Direct remet les mots à leur place, à l’Honneur. Mourir pour des verbes à l’infinitif. Ou un tautogramme. Oh oui ! Ce n’est pas fini. Et c’est bien.
Lauréline Kuntz 8 octobre 2015